De ma fenêtre…

Visite du Conseil Général et du Réseau Educatif International Congo, 15 – 30 mai 2023

EXPRESSIONS LIBRES DES PARTICIPANTS

Il est 5h. Ce matin, pas d’électricité, donc pas d’eau au robinet du lavabo. Dans l’aube naissante, alors que l’on devine la toiture calcinée de l’internat du lycée Mwanga, je repense à nos journées, à celle d’hier sur « Le Tour de main ».

Au bord du fleuve Congo, avec les pêcheurs en ligne de mire – comme en Galilée ! – nous fêtons l’Ascension avec 180 professeurs, directeurs, éducateurs en célébrant l’Eucharistie puis en partageant l’inspiration éducative de Pierre Fourier et d’Alix Le Clerc.

La route qui mène à ce havre de paix paradisiaque[1] est à l’image du Congo : Minings qui ont déjà installé leurs usines gigantesques ou simplement clôturé un domaine en vue d’une exploitation future. Peu importe les villages déjà là qui se retrouvent enfermés dans leur enceinte. Peu importe que ces terrains aient été vendus par le Gouvernement de la Province aux grandes Sociétés privées internationales. Peu importe que des creuseurs y aient découvert un gisement et en aient été chassés, emportant leur faim et leur misère un peu plus loin. Le long de la route, leurs masures succèdent aux Minings : une bâche en plastique sur des poteaux de bois et des tissus déchirés tenant lieux de murs. Des enfants jouent au milieu de la poussière, des détritus, de l’eau stagnante.

Le cobalt et le cuivre sont partout et chacun tente sa chance d’en avoir une petite part[2], même si parfois la mort l’attend au bout de ses efforts : effondrement de la galerie de fortune,  étouffement  par manque d’oxygénation, éboulis bloquant l’entrée.

Le Congo est comme une maison pillée dont les propriétaires assistent impuissants à ce spectacle révoltant : ce qui leur appartient leur est dérobé sous leurs yeux. « Parfois, les cousins, les oncles participent au pillage » ajoute l’Evêque de Kolwezi. La corruption gangrène la société et permet à la noria de « tracks » de circuler sur les routes, emportant plaques de cuivre et minerais bruts vers tous les pays du monde en ne laissant que des miettes au peuple congolais[3].

Et pourtant, la joie renait chaque matin ! Le rire, le sourire l’emportent sur les larmes et le désespoir. Alors que tous les vents sont contraires, que les perspectives d’avenir se font attendre, que les mots de dignité, d’épanouissement, de bonheur semblent inconnus, nous partageons  la vision éducative de Pierre Fourier et d’Alix Le Clerc : « Eduquer c’est changer le monde »…

Mais voilà : leur manière n’est ni le « grand soir » de la révolution dont nous avons peut-être rêvé un jour, ni l’avenir illusoire et mensonger promis par des partis populistes ou des sectes  évangéliques.

Pierre Fourier et Alix n’ont jamais séparé le monde dans lequel ils vivaient et la Bonne Nouvelle de la Révélation. Ils les ont tenus ensemble, sans lâcher l’un aux dépens de l’autre. Ici au Congo, je comprends un peu mieux  ce sur quoi ils ont fondé notre Congrégation : l’Incarnation – la manière de travailler de Dieu – n’est pas un coup d’éponge sur un tableau sale, ni le renversement brutal d’une situation inacceptable. L’Incarnation – l’humilité de Dieu – nous invite à la Foi. C’est elle qui chaque matin réveille l’Espérance et nous dit de relever nos manches.

La lumière revient, le soleil se lève sur les décombres de l’incendie, le chant des Laudes commence à la chapelle de Notre-Dame de Lumière :

« Béni soit le Seigneur qui visite son peuple…

Il a fait surgir la force qui nous sauve…

Salut qui nous arrache à l’ennemi…

Serment juré à notre père Abraham de nous rendre sans crainte…

Pour illuminer ceux qui habitent les ténèbres et l’ombre de la mort

Pour conduire nos pas aux chemins de la paix. »

Cécile

Sur la route de Ntseke [4](fabrication du charbon de bois et déforestation)


[1] Luxueux complexe touristique récemment construit à Wansela et propriété du Ministre des finances de la Province du Lualaba

[2] Cela permet de gagner 10 fois le salaire d’un enseignant, 100 fois celui d’un journalier, 1000 fois celui qui n’a rien. Cf. une émission récente d’Antenne 2 – Envoyé spécial du 30 mars : « Les damnés du cobalt »   https://www.francetvinfo.fr/replay-magazine/france-2/envoye-special/envoye-special-du-jeudi-30-mars-2023_5714183.html

[3] Seuls 3% des Congolais ont un emploi.

[4] Localité au bord du fleuve Congo où une usine hydroélectrique est capable de fournir de l’électricité à toutes les Provinces du Katanga… Mais que les Minings détournent à leur profit au gré de leurs besoins, privant ainsi les habitants de cette précieuse ressource pendant quelques heures ou plusieurs jours.