LETTRE DE NOËL 2019

Relire

Soeur Cécile MARION cnd-csa

Supérieure Générale

Chères Sœurs,

Nous voici à un peu moins de neuf mois de notre prochain Chapitre Général : le temps d’une gestation ! Le temps de « porter » ensemble cette rencontre qui, tous les six ans, rythme la vie de notre corps Congrégation. Le temps de demander à Pierre Fourier et Mère Alix de nous enfanter à nouveau comme « Sœurs de Notre-Dame ».

­ « Ecoute, fille de Notre-Dame » :
Récemment, je lisais sur le chambranle d’une porte ouvrant sur la chapelle du couvent franciscain de Greccio cette affirmation : « Si le cœur ne prie pas, la langue travaille en vain ».
Les Frères des Ecoles Chrétiennes célèbrent le tricentenaire de la mort de Saint Jean-Baptiste de La Salle en tendant à l’entrée de toutes leurs chapelles à travers le monde un voile représentant la petite église romane de la Chartreuse de Parménie : lieu de prédilection de Saint Jean-Baptiste qui venait y prier et se ressourcer ; c’est là qu’en 1714 une religieuse le persuada de reprendre la conduite de ses frères.
Et nous, quel est notre Parménie ? Quel est notre lieu de contemplation, d’adoration, de gémissement aussi… Notre temps de « face à face avec le Seigneur ?

Le Père Pedro Arrupe demandait que ses frères jésuites ne soient pas « d’abord » des activistes mais des chercheurs « amoureux de Dieu » :

Rien n’est plus simple que de trouver Dieu :
cela équivaut à « tomber amoureux »,
dans un sens absolu, définitif.
Si vous êtes amoureux,
ce qui va saisir votre imagination
affectera tout, désormais.
Il décidera
de vous faire sortir du lit le matin,
de ce que vous ferez de vos soirées,
comment vous passerez vos week-ends,
de ce que vous lirez,
de ce que vous saurez,
ce qui vous brise le cœur,
ou ce qui vous émerveille,
vous donnant joie et gratitude.
Accepte de « tomber amoureux »,
demeure dans l’amour,
et l’amour décidera de tout.
Amen

­ « Visiblement conversant en ce monde » :
Sur quel chemin sommes-nous ? Est-ce celui sur lequel nous le suivons, Lui ?
Quelle poussière colle à nos pieds ? Est-ce celle de nos longues et patientes marches à la rencontre de nos frères et sœurs ?
Sur la route d’Emmaüs, les disciples ont « le cœur tout brûlant » : le Seigneur lui-même les rejoint, il marche avec eux, il relit pour eux les Ecritures et leur partage le pain. C’est le fait de tout disciple de s’exposer à la Parole et de se laisser surprendre par sa rencontre. L’expérience du Ressuscité n’est pas programmable : elle fait irruption. Elle ne se fait jamais par procuration : elle est une expérience personnelle, offerte à tous. Chacun est à la fois le destinataire et l’interlocuteur, le partenaire. Alors, nos yeux s’ouvrent.

Les réseaux sociaux nous habituent à réagir immédiatement, à publier nos préférences ou nos aversions en cliquant sur une émoticône. Mais, à la réaction ou à la pétition, la vie religieuse préfère la conversation. Elle nous invite à nous asseoir, à écouter, à dialoguer. Elle a pour vocation de dire au monde que toute vie est chemin d’Emmaüs, à la fois rejointe et appelée.

­ « Faites tout ce qu’Il vous dira » : Relire, c’est-à-dire ?

Ouvrir le livre que nous avons écrit pendant ces six années.
Relire courageusement, lucidement, ce que nous avons réalisé, ce qui a été réussi, ce qui a échoué, ce qui reste limité. Ce qui aussi a été évité, refusé ; repasser là où nous avons paressé ou déserté.

Elargir notre champ de vision : regardons à perte d’horizon, comme le Père prodigue qui attend son fils cadet ou supplie son fîls ainé ; ouvrons largement notre cœur pour accueillir l’Esprit qui nous révèlera les paralysies, les aveuglements, les surdités, les mutismes qui nous empêchent d’entrer dans cette relation d’amour vrai à laquelle on reconnaît les disciples du Christ.
Le chemin sur lequel nous sommes vient de plus loin et de plus haut que nous et il va bien au-delà de ce que nous pouvons imaginer ou rêver ; élargissons notre cœur pour accueillir l’Esprit qui nous apprendra à distinguer le bon grain de l’ivraie et nous montrera qui nous devons être et là où nous devons être.
Peut-être pensons-nous que nous sommes peu nombreuses ? Oui, nous étions une cinquantaine de plus il y a six ans ! Mais cette logique comptable oublie que chaque vocation est unique et n’existe pas pour faire nombre. Peut-être trouvons-nous notre société, notre monde, déconcertants, déprimants ? Mais nous en sommes solidaires ! Quel intérêt, quel amour avons-nous pour eux ? Il n’est pas vrai que tous sont coupables – sauf nous –, que tout n’est que crise et va à sa perte : Dieu est toujours à l’œuvre et il continue d’embaucher.
L’appel à une écologie intégrale et à une vraie inter-culturalité nous presse : elles sont deux « signes des temps » pour notre aujourd’hui. L’accomplissement des noces de Dieu avec l’humanité passe par elles, par cette fraternité universelle qu’elles nous demandent de tisser chaque jour, refusant la désespérance. Cana est devant nous !

Revenir à la joie : ôtons un moment nos pesantes sandales pour retrouver la terre sacrée de notre fondation, de notre charisme !
Relisons sa fécondité, sa capacité de résilience après les impasses dans lesquelles nous l’avons peut-être fourvoyé au cours du temps.
Ce n’est pas parce que la Congrégation est fragile ou qu’elle rencontre des difficultés qu’elle s’est trompé de chemin ou que Dieu n’est plus crédible ou à court de merveilles !
Relisons joyeusement, avec gratitude, le chemin parcouru.
Regardons ce que nous sommes devenues, chacune et ensemble, depuis que nous sommes Sœurs de Notre-Dame ; depuis le dernier Chapitre : qu’est-ce qui a été croissance, qu’est-ce qui a apporté plus de vie ?
« Un bon chapitre, comme toutes les bonnes décisions, naît de la gratitude (…) Le charisme est grâce et, parce qu’il est grâce, il grandit. Le Chapitre permet précisément au charisme de grandir, de se développer. Pour chacune de nous aussi, il est une occasion de croissance personnelle ».

Dans notre relecture, n’oublions pas :

­ « ‘Jésus prit avec Lui’ : c’est une expression qui revient à plusieurs reprises dans les Evangiles et qui nous rappelle notre mission de collaborateurs. Spontanément, nous pourrions avoir quelque peu tendance à renverser les choses : nous mettons en place des projets et des stratégies, puis nous demandons au Christ de nous accompagner dans leur réalisation, comme si le salut du monde dépendait de nous, et que nous prenions Jésus avec nous pour en garantir la réussite. Mais si nous revenons à l’Evangile, nous nous replaçons devant cette double réalité : c’est le Christ qui sauve le monde, et Il nous prend avec Lui. »

­ N’oublions jamais qui nous sommes : « Sœurs de Notre-Dame », sœurs de Marie, femme présente, sans bruit, jusqu’au bout, alors que « plus rien n’existe hormis l’amour ». Femme présente résistant à tous les imaginaires – masculins comme féminins – qui ont voulu la façonner à leur image pour leur profit. Femme présente qui nous appelle à être pareillement présentes : à Dieu, au monde, à nos frères, à nous-mêmes.

 

­ Un Chapitre n’est pas affaire de planification ou de stratégie, qu’elle soit collective ou personnelle. Il concerne le corps Congrégation et, pour cette raison, il nous convoque chacune « tout entière ».

Plus encore, il convoque notre liberté intérieure et nous demande de la travailler, tout particulièrement pendant ce temps de préparation.
Être libre pour accueillir l’autre et entrer en dialogue avec elle ; pour avancer sur le chemin dont nul ne connaît la suite ; pour accueillir l’inattendu ; pour ne pas rester « sur le bord » ou « en arrière » mais pour accepter de « plonger ». Cette liberté, seul le Maître intérieur peut nous la donner, nous délivrant ainsi du regard des autres comme du nôtre propre.

Notre unité comme corps ne peut venir que du don de nous-même, et nous savons bien qu’il est à refaire chaque jour. Renoncer à son intérêt propre, résister au repli sur soi ou à l’envie de déserter, refuser tout calcul, c’est un chemin de conversion.
C’est aussi l’appel du Pape François à toutes les communautés du monde demandant « un témoignage de communion fraternelle qui devienne attrayant et lumineux pour que tous puissent admirer comment vous prenez soin les uns des autres, comment vous vous encouragez mutuellement et comment vous vous accompagnez ».

Préparons-nous à vivre le Chapitre comme une grâce qui nous est donnée sans mesure. N’ayons pas peur de répondre à son appel !



Avec toute mon affection fraternelle,

Joyeux Noël et Bonne Année !





Soeur Cécile MARION, cnd-csa
Supérieure Générale

Fontenay-sous-Bois, en ce 1er dimanche de l’Avent, 1er décembre 2019