Nouvelles du Viet Nam

 

 

La novice et l’épidémie du Covid-19

 

Je suis dans la 2e année de Noviciat, c’est-à-dire l’année apostolique qui suit l’année canonique. Les six premiers mois passés dans un milieu d’apostolat fort occupé et rempli de soucis, je les ai vécus avec nos sœurs et des enseignants, à faire la classe aux élèves de l’Ecole du Cœur “Ánh Linh”.

 

Mais depuis la fin des vacances du Tết jusqu’à ce jour, presque trois mois se sont écoulés, et nous n’avons ni élèves, ni classe d’aucune sorte, pour l’éducation de la foi comme pour l’éducation tout court. Le statut de distanciation sociale dû à l’épidémie est à l’origine de cette absence, de ce vide. De cette pandémie du Covid-19, j’ai idée que c’est une Grande Epreuve imposée à toute l’humanité -couvrant mon temps personnel de Formation-, et que le monde entier semble cheminer avec moi pour ce temps de limitation-de-tout-contact, cherchant à saisir ce que cela peut vraiment signifier dans nos vies. 

 

Une Grande Epreuve pour le monde entier

 

Pour moi, le temps du Noviciat est une période unique dans la vie. Il est peut-être rare qu’on le vive une deuxième fois. Ce temps de Noviciat m’a appris beaucoup de choses sur la vie intérieure, sur mes relations avec Dieu et avec moi-même, sur l’importance de la prière et sur la solitude. C’est évidemment un choix que j’ai fait de ma propre volonté. J’y reconnais une coïncidence étonnante avec la direction que prend le monde d’aujourd’hui. Des millions de personnes vivent en quarantaine (le temps du Noviciat est aussi une forme de mise en quarantaine, loin de ceux qui nous sont chers, des lieux où l’on voudrait se rendre), des centaines de personnes sont en arrêt de travail, des activités sociales, un nombre gigantesque de travailleurs se voient brusquement obligés de rester tranquilles, chacun chez soi, pour éviter la contamination. D’un autre côté, ce statut amène les gens à un point de silence dans la musique frénétique de la vie. Mais leur différence avec moi réside dans le fait qu’ils n’ont pas le choix, et sont simplement amenés à vivre ainsi pour un temps.

 

On est confronté à une interrogation, à des problèmes que dans le cours fiévreux de la vie, on a tendance à oublier : l’impermanence de la vie, le sens de tout ce à quoi on s’engage si aujourd’hui on doit affronter la mort… Où irons-nous à l’issue de cette crise, et qui vraiment nous sauvera ? Une Grande Epreuve qui sera d’un grand bénéfice pour notre Mère la Terre, mais qui en même temps apportera bien des difficultés et des souffrances à tous. De toute façon, la roue de la vie si brusquement arrêtée, ne se fera pas sans apprendre aux gens certaines leçons de vie, des expériences personnelles, à l’instar d’un message venant de l’univers, de Dieu même, envoyé à chaque personne dans l’intime de son cœur, que ce Dieu soit reconnu ou pas.

 

Si, en toute sincérité, nous observons ce qui se passe et méditons sur cette période de temps si singulière, nous aurons sans doute des instructions précieuses à collecter, pour continuer à vivre dans l’amour l’étape qui suit.

 

La quarantaine nous initie à la délicatesse…

 

Pendant que des millions de gens doivent rester chez eux, la vie pourrait se polariser vers deux antipodes : ou bien on retourne à la joie du partage et de la présence en famille, ou bien on ne supporte pas cet enfermement à l’étroit, et on cherche à s’échapper. Le côté positif comme le négatif, corollaires de la mise en quarantaine, sont très largement publiés dans la presse et autres modes de communication sociale. Une grande majorité de gens ont pu exprimer leur affection à leurs familles en quarantaine dans des hôpitaux ; un certain nombre de pays et régions, au contraire, ont connu des drames de famille : violences, avortements, menaces de divorce.

 

Mr Edgar Morin – philosophe et sociologue français – a dit récemment : “La quarantaine nous apprend à être délicats envers nos conjoints” … quand on reste plus longtemps chez soi, on se voit plus souvent ; c’est le paradis si on se retrouve soi-même, si on reste en présence les uns face aux autres dans l’amour partagé et la douceur.

 

En effet, la façon dont les couples et les familles ont vécu ce temps d’épidémie me dit quelque chose de très profond de ma relation avec Dieu, avec la communauté. On peut aussi bien appeler la période du Noviciat une “quarantaine” – alors, est-ce que je me comporte avec délicatesse envers mon Dieu ? Est-ce que je pense à Lui comme à la personne que j’aime le plus, et à qui ce temps de quarantaine est particulièrement réservé ? La vie communautaire est, par certains côtés, comparable à la vie en famille. Quand les élèves ne sont plus là, que les rencontres avec l’extérieur et le travail sont en arrêt, nous consacrons davantage de temps pour vivre ensemble. Cela donne un sens très fort à notre vie de communauté. Nous nous partageons les nouvelles, notre vie à chacune. Ensemble, nous étudions certaines choses que d’habitude nous laissons de côté, faute de temps. Nous consacrons aussi davantage de temps pour prier ensemble. Cependant, tout ne se passe pas toujours comme sur des roulettes. Quand on se voit plus souvent, on découvre davantage de choses peu satisfaisantes, et si nous manquons de délicatesse, cette vie en promiscuité pourrait devenir étouffante et fatigante. 

 

L’appel à considérer ses frères et sœurs de plus près…

 

De toute évidence, tout le monde n’est pas dans les meilleures conditions pour se reposer, pour reconsidérer et réajuster ses relations. Les drames familiaux ne viennent pas simplement des manquements à la délicatesse. En réalité, certaines familles sont tombées dans la misère quand le père ou la mère sont au chômage, sans aucune ressource en réserve, étant des travailleurs saisonniers. Ce sont les gens les plus affectés en temps d’épidémie. Ils peuvent mourir de faim avant de mourir de maladie. Les charges au point de vue finance et le poids de la vie peuvent les faire succomber irrémédiablement.

 

De mon abri, en toute sécurité, j’entends l’appel réitéré au monde, priant instamment qu’on prenne en considération ces pauvres en détresse. L’aide en alimentation pendant la crise est belle mais insuffisante. La délicatesse envers le voisin consiste à supprimer le gouffre entre le riche et le pauvre Lazare de la parabole de Jésus. Des voix se sont élevées dans ce sens, mais on appelle également à considérer d’autres aspects qui assureront mieux la vie des vendeurs de billets de loterie, des chiffonniers, des domestiques… comme la Sécurité Sociale, l’Assurance Médicale et quelque système de sécurité suffisamment stable pour que les pauvres puissent vivre décemment pendant cette période de pandémie. 

 

Et maintenant, quelques-uns de mes sentiments et réflexions concernant cette période. Je désire ardemment que ce monde où nous sommes passe cette période de pandémie à apprendre quelque chose de la vertu d’abandon à l’amour de Dieu. Le Professeur Jean-François Delfraissy – médecin et président du Conseil Scientifique, spécialiste des maladies infectieuses – a pris la parole dans l’Assemblée Nationale de France au sujet d’une liste de choses qu’il ignore et qui concernent le virus Corona. Le 23 Avril dernier, Erwan Le Morhedec – avocat et auteur de divers traités – a qualifié cette liste du Professeur Delfraissy du nom de « chant de louange à l’humilité », disant que ce virus nous rend humbles parce qu’il nous aide à reconnaître notre ignorance, nos limites et notre fragilité. Espérons que grâce à cette impuissance même, nous sachions nous mettre à genoux devant Dieu avec un cœur humble et confiant.

 

Thérèse Nguyễn Thị Bình Tâm

 

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