ENSEMBLE, A L’ECOUTE DU CRI DES PAUVRES ET DE LA CLAMEUR DE LA TERRE
RENCONTRE INTERNATIONALE DES ASSOCIÉS ; BERLAYMONT 2025
Part 1 : Journée Franco-Belge & Journée Congo
INTRODUCTION
L’idée de cette rencontre s’inscrit dans les recommandations du dernier chapitre qui nous invitaient à partager notre charisme avec la famille CND (religieuses, associés, corps enseignants, amis…) en prenant soin de notre Maison commune : ensemble, être attentifs aux appels urgents évoqués dans Laudato Si’ et Fratelli Tutti pour contribuer à construire un monde plus juste, plus solidaire, plus humain et être à l’écoute du cri de la terre et des hommes. Ce qu’on appelle « écologie inclusive ».

Avant de lancer les invitations aux différents pays, les associés belges ont pris le temps de lire Laudato Si’, de faire une lecture critique de leur propre pratique, identifiant leurs espérances mais aussi leurs tristesses, leurs craintes ou leurs résistances à s’engager à la suite du Pape. Ils se sont ensuite renseignés à travers des lectures, des vidéos, des rencontres et des formations.

Elargir et enrichir notre mission éducative aux dimensions sociales, provoquer la rencontre des milieux scolaires et sociaux, analyser les problèmes et les questions du monde en nous appuyant sur la richesse de l’internationalité de la Congrégation, nous découvrir solidaires et embarqués dans un même bateau, tisser des liens pour nous encourager et nous renforcer mutuellement dans nos engagements personnels et communautaires… tels étaient les principaux objectifs de la session. Pour cela, nous avions souhaité que la délégation de chaque pays soit composée de religieuses, d’associés et de professeurs. Nous avons aussi demandé à chaque pays de prendre en charge la préparation d’une journée complète en utilisant une méthodologie active et participative, sur base d’un canevas commun : un temps de prière et de louange, une présentation du pays et plus particulièrement de deux ou trois problématiques dans lesquelles les participants étaient impliqués, des échanges en groupes ou en plénière permettant de s’approprier les sujets abordés, de tisser des liens et si possible de dégager des actions à mettre en œuvre après la session.

La terre et le monde vont mal. Ce constat aurait pu nous entraîner vers du pessimisme et du découragement. Pourtant, cette rencontre a été extraordinairement festive, joyeuse et positive. Elle a réveillé en nous notre capacité à nous mettre en route, à nous émerveiller devant la beauté de la terre et les initiatives des êtres humains. Dans les pages qui suivent, vous trouverez un résumé de chaque journée et des témoignages de quelques participants exprimant ce que cette rencontre a bousculé en eux.
LUNDI : Journée Franco-Belge
A l’écoute des pauvres : aller à leur rencontre, travailler avec eux …
En quoi cela nous interpelle-t-il ? Qu’apprenons-nous à leur école ? Que recevons-nous l’un de l’autre ? En quoi cela bouscule-t-il nos préjugés, nos pratiques professionnelles, notre rapport à l’autre, à nous-même, à Dieu ? Quelles solidarités proposer aux jeunes ? Telles étaient les questions centrales de cette première journée qui a laissé une large place aux témoignages, aux travaux de groupes et à la méditation personnelle.

Véronique Philippe, membre du réseau éducatif en France, nous a partagé son expérience dans le projet PERL[1]. Depuis 5 ans, ce programme accueille des primo-arrivants, francophones ou allophones, issus de diverses cultures (Sénégal, Cap Vert, Congo, etc.) pour leur donner accès, le plus rapidement possible, à des filières professionnelles ou à un travail. Le partage culturel, les échanges entre formateurs et apprenants, les méthodes pédagogiques innovantes et collaboratives, l’adaptation constante aux besoins des élèves donnent un sentiment d’utilité et favorisent la reconnaissance réciproque : « Tu m’apprends et je t’offre ; je t’apprends et tu m’offres ». Par son approche pluridisciplinaire, PERL favorise aussi le travail d’équipe, la collaboration avec différents partenaires et la résilience des jeunes face aux défis de l’intégration scolaire.
Isabelle Stas, associée belge, est bénévole à « Grain de vie », une boulangerie associative, lieu de rencontre, d’accompagnement et de formation pour des personnes en situation de handicap. Celles-ci participent à des ateliers (boulangerie, cuisine, pâtisserie, magasin) et des activités extérieures dans un cadre familial. Chacune progresse à son rythme vers plus d’autonomie. L’approche est personnalisée pour aider chaque bénéficiaire à surmonter ses difficultés. Pour Isabelle comme pour les autres bénévoles, cet engagement a un impact positif sur leur propre perception de l’empathie et des relations humaines. La richesse des échanges, l’importance d’une communication sincère, l’écoute, la patience, la bienveillance et l’amour nécessaire à l’épanouissement mutuel dans ces relations reflètent la profondeur de l’Humanité. La diversité enrichit la compréhension de soi-même. Cela donne du sens et un sentiment d’appartenance.
A Bruxelles, Sylvestre, un gendre de Françoise, associée belge, est coordinateur du projet HIT[2]. Ce centre héberge des jeunes sans-abris, de 18 à 25 ans pour une période de 3 à 18 mois dans le but de régulariser leur situation et de les aider à atteindre l’autonomie. Les problèmes sont variés dans cette population en augmentation : drogues, santé mentale, coming-out, rejet ou éloignement de la famille…. Là aussi, l’écoute, la compréhension, le non-jugement sont les clés de l’accompagnement. Mais il faut aussi une réflexion sociale plus large pour mieux comprendre les causes du sans-abrisme et créer une société plus inclusive. Même si ce projet ne résout pas tous les problèmes, les jeunes en retirent de l’espérance et y font une expérience de résilience pour entamer un processus de stabilisation. Les succès sont le résultat de la qualité de la relation entre l’éducateur et le jeune, d’un engagement à long terme et d’une compréhension accrue des défis individuels de chacun.
Françoise, une associée belge, a présenté « l’opération thermos », un projet de solidarité créé par des scouts en 1987 auquel participe le Lycée de Berlaymont. En hiver, des jeunes préparent des repas chauds qui sont distribués le soir aux SDF dans une station de métro.
Lors de travaux de groupes, nous avons interrogé notre manière d’être, de faire et de réagir « A l’écoute de la parole des pauvres » et « Mobiliser les jeunes à l’action solidaire ».
En conclusion de cette journée : Comment aider des personnes à retrouver une dignité ? Comment, adultes, donner aux jeunes un modèle inspirant ? Ne soyons pas donneurs de leçons, mais permettons à chacun de retrouver une dignité…
Le soir, place à la fête, aux échanges, aux jeux et à la dégustation de spécialités belges et françaises.
[1] Parcours Educatif à Renforcement Linguistique
[2] Hébergement Inter-Générationnel Transitoire

Mardi : Journée Congo

En République Démocratique du Congo, la richesse inestimable du sous-sol contraste tragiquement avec la misère criante de ses habitants. L’exploitation minière à grande échelle par des sociétés étrangères, souvent chinoises ou occidentales, a provoqué de lourdes conséquences humaines, environnementales et sociales, notamment dans la province de Lualaba (Kolwezi et à l’est du Congo).
Des terres agricoles jadis fertiles sont aujourd’hui impactées par la déforestation avec, comme conséquence, la délocalisation de la population locale, ainsi que la contamination des sols par des déchets miniers et par une solution d’acide sulfurique, procédé chimique pour la dissolution de métaux. Cette pollution détruit les écosystèmes locaux, empoisonne les sols et les eaux, rendant impossible l’agriculture dont dépendait la grande majorité de la population rurale. A cela s’ajoute des conflits violents, parfois armés, éclatant autour des zones minières stratégiques. Ces tensions sont souvent alimentées par des intérêts politiques ou des groupes armés qui cherchent à déplacer les populations pour mieux contrôler les ressources.
Dans ce contexte chaotique, l’État gangrené par la corruption reste largement silencieux ou complice des intérêts des firmes multinationales. Les maigres retombées économiques de l’exploitation minière échappent au peuple congolais, tandis qu’une élite restreinte s’enrichit en sacrifiant les droits fondamentaux des populations locales.
Malgré cette sombre réalité, des lueurs d’espoir persistent grâce à l’engagement courageux de nos sœurs de la CND. Elles œuvrent en faveur de l’éducation, de la santé et du développement local à travers des initiatives concrètes (la reconstruction de l’école à Kolwezi après l’incendie du 24 avril 2023, les soins de santé, le développement local et l’assistance juridique et judiciaire). L’une des initiatives les plus remarquables est la promotion de la culture de plantes médicinales, notamment l’Artemisia Annua, une plante aux vertus thérapeutiques contre le paludisme et d’autres pathologies. Ce traitement naturel, peu coûteux, permet à des familles pauvres d’accéder à des soins là où les structures médicales sont quasi inexistantes.

C’est aussi le cas de l’assistance juridique et judiciaire que le CAJJ-RDC (Centre d’Aide Juridico-Judiciaire) offre aux personnes victimes des impacts liés à l’exploitation minière. Cette association, créée par sœur Nathalie et deux collègues, dénonce les pratiques nuisibles des multinationales, en soulignant les conséquences néfastes de l’extractivisme sur l’environnement et la santé des populations locales. C’était le cas en juillet 2013 et septembre 2014 des paysans du village Moloka situé à plus de 20 km de la ville de Kolwezi. Grâce à la pression exercée par le plaidoyer du CAJJ en collaboration avec deux organisations internationales (Action de Carême et Pain pour le Prochain) et au recours ultime aux médias, l’entreprise a finalement était contrainte à verser aux familles victimes un dédommagement de quelques dizaines de milliers de dollars. Ce montant versé reste bien dérisoire face aux préjudices subis et aux à gains financiers tirés de l’exploitation minière.
Ce modèle de résistance douce, fondé sur la solidarité, la connaissance locale et l’autonomie de la communauté, incarne une réponse humaine et durable à l’injustice. Il démontre que, malgré la spoliation des ressources et les blessures profondes créées par les conflits, une autre voie reste faisable pour le peuple congolais, celle de la dignité retrouvée et la préservation de notre « maison commune ».

