Sœur Gertrude

Solange de ROTON

19 MAI 1914 – 26 FEVRIER 2018





Chère Sœur Gertrude,
Vous voici au terme d’une vie longue et riche, et évoquer 104 ans de vie en quelques mots… Bien difficile !
Vous êtes née à Paris, rue de Bourgogne, le 19 mai 1914 et avez été baptisée aussitôt car votre arrivée quelque peu prématurée laissait mal augurer de votre avenir. D’ailleurs, faute d’avoir eu le temps de descendre du grenier le berceau familial, vous avez dû vous contenter d’un fauteuil et votre grand père, vous voyant si frêle, a dit : « Cette petite ne vivra pas longtemps » (petite erreur de diagnostic !)
A cause de la guerre, vous passez les premières années de votre vie à Sauternes, en Gironde, dans la propriété familiale ; puis vous revenez à Paris en 1919. Bien sûr, vous allez au catéchisme et, parait-il, vous leviez souvent le doigt pour répondre aux questions de Mr le curé qui vous nomma alors « la petite théologienne du catéchisme» ! Bien des années plus tard, une des participantes de « La Vie Montante » à Avermes note : « Nous garderons toujours en nous la richesse de ses échanges et la vitalité de son esprit. »
Vous faites vos études au Cours St Germain et alors grandit en vous le « souci de l’Ecole Libre ». Une question vous taraudait : « Pourquoi y a t-il des écoles où on ne parle pas de Dieu » ? (C’était l’époque où on parlait beaucoup de l’athéisme en Russie). D’où votre désir de devenir institutrice. Et c’est ainsi que, aussitôt votre baccalauréat en poche, vous entreprenez une licence d’anglais.
Vous allez parfaire votre anglais à Westgate, chez les Sœurs de Notre Dame. Là se précise votre vocation religieuse : vous entrez au postulat à Verneuil le 11 septembre 1934 et y prononcez vos premiers vœux le 28 août 1936. Se précise aussi votre vocation missionnaire : « Tout recevoir pour tout donner ». Or, en 1935, des pionnières ont fondé une école au Vietnam et plusieurs groupes de sœurs doivent les rejoindre les années suivantes. Vous demandez à faire partie du groupe. Vous y resterez de 1938 à 1976, contrainte alors par les évènements politiques à rentrer en France. Et c’est à Dalat que vous prononcez vos vœux perpétuels le 28 août 1938.
Après les années fastes et heureuses d’un bel apostolat enthousiasmant, vous vivez la guerre, période d’incertitude du fait de l’absence totale de nouvelles, épisodes dramatiques : assassinats… bombardements … difficultés de ravitaillement… erreurs de comportements… tout contact avec la France interrompu… mais aussi (comme vous le notez) une solidarité extraordinaire.
Puis c’est le long et difficile passage de la colonisation à l’indépendance : il faut alors faire « table rase » de tout le travail accompli… Vous avez raconté longuement cette période dans vos « souvenirs missionnaires » ; cela vous a profondément marquée mais vous a confirmée dans cette certitude : ne demeure alors que la foi et la confiance en Celui qui a semé et qui donne la Vie. Au Vietnam, (comme ailleurs) vous marquez des générations par votre passion pour l’éducation, la rigueur de votre enseignement, votre grande ouverture d’esprit. Et, en bonne enseignante, votre curiosité insatiable pour tout ce que vous pouviez apprendre de nouveau vous permet, grâce aussi à une mémoire « hors pair », de vous intéresser à tout ce qu’on pouvait dire ou raconter. Soucieuse du service des plus pauvres, vous vous intéressez aux personnes les plus démunies : évangélisation des Montagnards, relations avec les prisons, aide aux réfugiés.
… A votre retour, à MEUDON, vous continuez, et l’enseignement par des cours de français et d’anglais, et l’attention aux plus pauvres en participant avec le Secours Catholique à l’accueil des familles en difficulté… petit café avec les SDF… jeux avec les enfants… « contacts déroutants pour moi (écriviez-vous) mais très sympathiques, où l’on peut donner tout son cœur ». Indépendante et volontaire, rien ne vous arrête alors dans vos entreprises : contacter les autorités municipales, rencontrer les services sociaux ou toute personne compétente jusqu’à ce qu’une réponse positive soit donnée. Votre joie de vivre et votre attention aux plus démunis vous ouvrent bien des portes, même si votre ardeur aurait demandé parfois un peu de modération !! Vous aimez passionnément la Congrégation et êtes avide de vous tenir au courant de son évolution. Vous aimez aussi beaucoup votre famille et vous nous informez des naissances, des mariages et surtout des « vocations naissantes », les adoptant totalement dans votre prière.
Le souvenir le plus fort que nous garderons de vous est cette large vision du monde qui, d’ailleurs, nourrissait votre prière, et cette disponibilité aux appels de la vie, de la Congrégation, des évènements… qui ont toujours été pour vous « appels du Seigneur ». « C’était pour moi presqu’une évidence d’être toujours prête à partir ; j’ai vécu ma valise à la main. »
Vous n’avez plus besoin maintenant de votre valise, chère Gertrude ; vous vous présentez au Seigneur les mains vides, mais le cœur toujours aussi ouvert à l’amour de « l’autre », quel qu’il soit.