Pays Mexique

 

 


Introduction :

mexico 10Consuelo et Cristina habitent deux villes mexicaines éloignées l’une de l’autre : Monterrey et Gomez Palacio. Leur expérience, leur formation dans des séminaires « Justice et Foi », les besoins de leur pays, les ont conduites à un engagement dans lequel la vie et la mort se côtoient au quotidien : Cristina accompagne les personnes en fin de vie et est formatrice en Thanatologie[1]. Consuelo, dans le cadre du Cadhac[2], lutte aux côtés des familles de personnes disparues, enlevées ou tuées dans l’Etat du Nuevo Leon.

Pour plus d’information vous pouvez consulter les liens suivants : http://cadhac.org/category/comunicado/   ;  https://en-gb.facebook.com ; CADHAC-cnd-csa.org

 

[1] La Thanatologie est l’art de « bien mourir ».

[2] Cadhac : Ciudadano en apoyo a los derechos humanos

 

 

 

Contexte du pays

Ces dix dernières années, la situation du Mexique s’est considérablement détériorée, affectant la grande majorité de la population sur tous les plans : personnel, familial, professionnel, social et communautaire.

Les statistiques officielles, montrent que le  Mexique traverse une crise humanitaire : entre 2007 et 2018, 37000 personnes ont été portées disparues ; un grand nombre d’entre elles ont été victimes d’exécutions sommaires, de tortures et de la traite humaine.

Nous constatons que nos institutions politiques sont gangrénées par l’impunité et la corruption et, nous vivons une crise de crédibilité des institutions gouvernementales.

Cette crise où la violence semble gagner la partie, a rempli de douleur de nombreuses familles cherchant inlassablement leurs êtres chers. Ces derniers sont continuellement stigmatisés comme des criminels par la société et les autorités qui tentent de justifier ainsi les exactions.

L’absence de justice et de vérité pèse terriblement sur l’esprit des citoyens paralysés par la terreur des disparitions et des tortures infligées aux victimes (mutilations, incinérations, démembrement des corps et dispersion en différents lieux rendant plus difficile les recherches et l’identification des restes).

Malgré de grandes difficultés, les collectifs de familles, auto organisés ou soutenus par des organisations civiles des Droits de l’Homme,  ont ouvert des chemins et permis l’adoption d’une loi générale sur les disparitions forcées, qui oblige l’autorité à assumer sa part de responsabilité dans la recherche des personnes disparues.

Récemment nous avons eu des élections présidentielles. Après soixante-dix ans de mauvais gouvernements, les mexicains ont élu Andres Manuel Lopez Obrador, un homme qui s’est montré honnête et propose une alternative. Il devra relever le défi de la corruption et de l’impunité et améliorer qualitativement la vie des mexicains. Son mot d’ordre est : « Pour le bien de tous, et prioritairement les plus pauvres ».  Défi énorme car l’espoir d’une majorité de citoyens et de citoyennes augmente chaque jour malgré la présence des militaires.

Dans ce contexte, il s’agit de chercher à sortir de la crise dans laquelle nous sommes. C’est là que le grand amour des parents pour leurs enfants permet de surmonter les obstacles et de persévérer jusqu’à les retrouver. Les organisations civiles accompagnent les familles dans tous les domaines de la vie ce qui les fortifie et rend possible de nouveaux chemins.

 

Témoignage de Consuelo : aux côtés des familles de disparus

Lutter pour les droits de l’homme est une manière de répondre à l’appel de Jésus car cela touche l’essentiel de la personne humaine : sa dignité. Cet apostolat m’a permis de tenter de vivre la cohérence entre foi et vie. C’est en considérant les personnes quelles que soient leur religion, leur race, leur culture… simplement comme mon frère ou ma sœur que je réalise l’Evangile des noces de Cana : « faites tout ce qu’Il vous dira ».

Notre travail apostolique au Mexique participe à l’effort de millions de mexicains et mexicaines ; c’est un travail humble mais véritablement engagé pour la qualité de vie et la dignité de nos frères et sœurs mexicains.   Ce qui a été réalisé ces dix dernières années nous a conduit à reconnaitre humblement que chacun est « bien petit » :  A elles seules les familles, les organisations, les  autorités ne peuvent rien pour les personnes disparues, les familles déchirées, la société en général. Il est nécessaire de mettre tous les efforts en commun et que chaque acteur donne le meilleur de lui-même, son expérience, sa compétence pour la recherche des disparus. Les organisations civiles sont des relais de communication entre tous pour que diminuent les préjudices et que les familles soient au cœur de la prise de décisions.

C’est ainsi que nous avons accompagné les familles, ouvrant de petits chemins d’espérance et de communion. Après de nombreuses années d’action, nous allons commencer un travail spécialisé, visant à améliorer l’identification des restes et des corps. La Commission Internationale des personnes disparues (ICMP) va implanter un programme à Monterrey en partenariat avec le procureur général de l’Etat du Nuevo Leon, proposant son expertise en analyses scientifiques. Tant les familles que les organisations et le Cadhac  espèrent que les résultats permettront rapidement de faire la justice et la vérité sur les disparitions.

Des temps difficiles peuvent survenir mais l’audace, la force et le courage des familles nous poussent à reprendre le chemin avec des énergies renouvelées et avec l’assurance que « Dieu écrit droit avec nos lignes courbes »… et nos fragilités.

 



Entretien avec Cristina : la thanatologie

Cristina, depuis 30 ans, tu travailles la Thanatologie, peux-tu nous dire de quoi il s’agit ?
La thanatologie est l’art d’accompagner des patients, ceux qui souffrent de la perte d’un être cher et ceux qui  sont en phase terminale d’une maladie et se préparent à mourir. Elle englobe toutes les personnes qui aident à vivre le deuil : la famille aussi bien que le personnel de santé pour que chacun ait les moyens de le vivre dans la paix.

Dans tes ateliers de thanatologie, tu poses cette question aux participants : « es-tu prêt à mourir ? » Et toi, comment t’es-tu préparée à la mort ?

Depuis mon enfance, j’ai côtoyé des personnes proches de la mort ; j’ai appris que c’est un moment essentiel pour tout être humain. Seul l’homme sait qu’il va mourir mais peu de personnes acceptent de voir la mort comme une amie qui nous libère de toute souffrance. Convaincue depuis toujours que je vais rencontrer le Père Miséricordieux, cela fait 30 ans que je prépare tout pour ce moment et, en même temps, je vis chaque jour la mission que Dieu m’a donnée d’aider tous mes frères à vivre sans peur ce grand passage.

Comment es-tu arrivée à choisir cette voie ?

Quand j’avais 8 ans, puis trois autres fois à différents moments de ma vie, j’ai fait un rêve : je voyais Jésus dans une tombe ; il tendait vers moi ses bras, me demandant « Ayuda-me, ayuda-me, ayuda-me» (« Aide-moi, aide-moi, aide-moi »).  Dans mon rêve, de nombreuses personnes en haillons ou malades entouraient la tombe. Après le troisième rêve, j’ai compris très clairement ce que Dieu voulait que je fasse : non seulement leur donner une assistance matérielle mais surtout les aider dans leurs souffrances pour qu’ils vivent heureux.

Peux-tu nous dire décrire comment tu animes tes ateliers de thanatologie ?

Par exemple, voici une dynamique de groupe que je pratique beaucoup : les personnes se mettent par deux ; la première est la personne en deuil qui n’arrive pas à dire A-Dieu à l’être aimé. Elle imagine que la seconde représente l’être aimé décédé. Les deux se tiennent par les bras. Les mains s’agrippent, se détachent, s’agrippent à nouveau puis peu à peu se détachent jusqu’à se séparer lentement.

Cet exercice permet de revenir sur des moments qui n’ont pas été vécus ; se dire adieu et se pardonner ce qu’il y a à réconcilier. Souvent, les personnes pleurent et ne veulent pas laisser l’autre « partir » mais quand ils réussissent à se détacher, ils parviennent à la libération physique et émotionnelle.

Cristina, veux-tu envoyer un message à toutes les sœurs qui recevront le Noticias ?

Chères sœurs, après ce que je viens de vous partager, je vous encourage à faire mémoire des moments douloureux et, ainsi, à pouvoir être libérées de souffrances et de culpabilités, dans l’assurance de ce que toute personne, au moment de mourir pardonne tout ; seuls demeurent l’amour et la paix entre nous tous.